


La Butte
Court-métrage, estimé à 10 minutes.
Logline
Lorsque son fils ignore le déclin de leur vieux cheval, un fermier vieillissant doit prendre les choses en main.
Synopsis
L'histoire ci-dessous a réellement eu lieu. Tous les noms ont été changés, excepté ceux des chevaux.
Un ranch à l'aurore. Florian (90 ans, veuf, le visage vieilli par le soleil, mais le corps encore ferme) est le premier debout, habillé, prêt pour la traite. Alors qu'il admire par la fenêtre les premières lueurs du jour se déployer sur ses pâturages, il remarque la silhouette de Jack, son vieux cheval, seul sur une colline, la crinière au vent. Inhabituellement immobile. Il ne broute pas, ne marche pas, ne bat pas de la queue. Il regarde Florian, comme si le temps d’un instant, les deux vieux doyens de la ferme se comprenaient.
Leur quiétude est bientôt interrompue par Henri (50 ans, fils de Florian), Adèle (40 ans, sa femme) et leur deux enfants (10 et 12 ans), et la cacophonie de leur déjeuner. Henri et Adèle sont ceux qui gèrent la ferme désormais. Ils sont vifs, plein d'énergie. Florian exprime son inquiétude par rapport au vieux cheval Jack, ainsi que le sort de sa sœur Topaze, mais Henri rejette sa remarque: Jack et Topaze sont vieux, mais ils sont en santé, Florian s'inquiète pour rien. D'ailleurs, pourquoi ne se reposerait-il pas ce matin? Qu’il aille arroser le potager s’il veut se sentir utile. Tous descendent vers la ferme faire la traite, laissant Florian seul. Inutile. Impuissant dans ses habits de traite. Il regarde sa relève partir à l'horizon. La silhouette de Jack toujours immobile sur la colline.
Florian arrose le petit potager derrière la maison. Des petites pousses commencent à émerger du sol. C’est plaisant un instant, mais la tâche est subalterne, et Florian a rapidement terminé. À son retour vers la maison, il jette un regard vers les chevaux. C’est là qu’il voit Jack étendu dans le champ.
Florian avait raison. Jack était fatigué. Jack s’est endormi, pour de bon. Près de lui, Topaze fait les cents pas anxieusement, de l’écurie jusqu’à lui. Elle ne pourra survivre le départ de son frère. Florian doit agir rapidement.
Dans son bureau tapissé de vieux rubans et médailles ovines et bovines et de photos jaunissantes, Florian hésite à appeler son fils. Se ravise. Compose plutôt le numéro de son voisin à l'Est, Gus (88). Un vieil ami. Il a un fusil tranquillisant.
Gus le rejoint. Ensemble ils administrent assez de tranquillisants à Topaze afin qu'elle rejoigne Jack dans sa paisible torpeur. Florian appelle ensuite son voisin à l’Ouest, Hervé (91). Il a un tracteur. Un gros, avec une pelle.
Ensemble, ils creusent un trou. Un gros. Cueillent le corps de Jack, puis de Topaz dans la pelle. Les déposent délicatement un à un dans le trou au milieu du champ, devant la fenêtre de la cuisine. Ils remplissent le trou, recouvrent les chevaux de terre. Bientôt apparait une petite butte là où hier encore, Jack et Topaze étaient debout ensemble. Florian remercie ses vieux amis. Et attend le retour de son fils.
En fin de journée, Henri et Adèle remontent vers la maison. Ils remarquent la butte. « C’est Jack. Et Topaze. ». Ils ont compris. Ensemble, ils pleurent la perte de leurs vieux amis. Henri et Adèle sont agenouillés prêt de la butte.
Florian lui, est debout, la tête haute.



Intention
À l’aube de ma trentaine, je suis habitée par l’approche inévitable du départ des générations qui me précèdent. Oncles, tantes, grands-parents, parents. Ces piliers d’apparence immuable qui s’effritent doucement, pour laisser place à la relève. Si je suis aujourd’hui énergique et enthousiaste de prendre ma place et mes responsabilités au sein du système familial, j’ai aussi une nostalgie profonde des choses telles qu’elles étaient, une peur de perdre le familier. Mes aînés, ceux de qui émanait une permanence toute ma jeunesse, m’apparaissent fragiles désormais. Eux, leur corps vieillissant mais aussi tout ce qui les compose: leurs histoires, leurs rêves, leurs ambitions, leurs secrets. Car à travers eux, j’ai pu vivre et comprendre le passé qui m’a construit. De les perdre est d’engloutir une partie de mon identité.
Quoique, mon sentiment est peut-être précipité. Si la mort nous guette tous, beaucoup de ces êtres aimés sont encore loin du gouffre. Et peu importe le temps qui leur reste, ma tendance à faire le deuil de quelqu’un qui est toujours là est incohérente, contre-productive. Mon court-métrage La Butte explore l’idée de redonner au dernier chapitre de la vie de quelqu’un l’importance qu’il mérite. De voir que la vieillesse n’a pas à être synonyme de déclin ou de perte de détermination. Notre culture occidentale dépouille souvent les aînés de leur raison d’être: on les « place », dans des résidences franchement funèbres, une salle d’attente grossièrement décorée, un décompte avant la Fin. Comme si les cinq, dix, voire quinze dernières années de leur vie étaient négligeables, sans objet.
La Butte offre une alternative. Le film met en scène un protagoniste âgé qui reprend le contrôle de sa personne et de son rôle au sein de sa famille et son environnement de travail. Il est autonome, capable, indépendant. Il choisit de porter la lourde tâche d'enterrer ses chevaux sans l'aide de son fils. Sa sagesse et son expérience lui permettent la stabilité et clarté émotionnelle que d'autres, plus jeunes, n'auraient pas eue. Le personnage de Florian est directement inspiré de mon grand-oncle, fermier de carrière qui à ce jour, à l’âge de 92 ans, fait la traite des vaches chaque matin, s’inscrivant toujours comme un membre essentiel de sa ferme. Cette histoire est la sienne. C'est une méditation sur la vie et la mort; sur l'importance de ne pas confondre les deux; sur la vitalité que l'on mérite jusqu'au bout.
Quelques sons qui inspirent le film ↓